Lettre ouverte à tous ceux qui s'aiment d'une Afroyiddish à un Bougnoulo-youpin
Paris, le 19 juillet 2014
Grand Amour,
Il y a plusieurs semaines, tu m'as proposé de faire un break. Oui, nous avons des caractères, et oui, nous sommes chiants autant l'un que l'autre. Alors pour toi, c'était la solution vers un peu d'apaisement : une respiration. C'est vrai, nous sommes fatigués de nos engueulades pour un "oui", pour un "non", pour un mot ou un geste et la menace d'une guerre est devenue permanente. Mais, j'avais refusé au début. Un break pendant l'été c'est dangereux non? La plage, le maillot, les mojito, les soirées salsa et tes yeux je les connais... alors un break?!
Mais, depuis quelques jours, je m'y suis résolue et je réfléchis séparée de toi, puisque c'est ce qui est demandé pendant les break. Je le prends alors, comme un cahier de vacances, le seul problème c'est que loin de me circonscrire à 1h d'exercices le matin, j'ai le cahier dans la tête tout le temps et c'est nous que j'imagine en Paul et Virginie alias Hicham et Rachel.
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Exercice numéro 1 (c'est toujours le plus facile) : Hicham et Rachel vont déjeuner un coucous rue de la Roquette chez Joël, le cousin d'Hicham, ils iront retrouver, David, le frère de Rachel, à Aulnay pour goûter son gâteau au fromage, puis reviendront prendre l'apéro avec Olivier, Elie, Omar et Amal sur la place de l'église à Menilmontant. Dans quel pays et dans quelle région sont-ils ?
Artistes écorchés, peut-être ? Passionnés, certainement, même trop... On se mord, on se griffe, on s'insulte, on se manque tellement que le respect disparaît. On ne s'écoute pas bien donc on s'entend mal. On se voit comme des ennemis autant que l'on peut s'aimer à ne faire qu'un. Et, sur le doux chemin de l'unicité, c'est là que les choses se gâtent, c'est là que nous revient avec violence et fureur nos complexités, nos scissions internes ravivées par l'externe. Comment nous résoudre à ne faire qu'un, alors que le monde qui nous entoure nous pousse à être divisé à l'intérieur de nous-même ?
Est-ce d'un break, d'un psy ou de l'Onu dont nous avons besoin ? Nos pères sont musulmans même si le mien est beaucoup plus foncé que le tien. Nos deux mamans sont juives, même si la mienne askhé est beaucoup, plus claire que ta maman tunisienne. Et, nous sommes ainsi, comme échoués entre le 20eme et St Germain-en-Laye : parce que là aussi, il ne fallait pas que les choses soient trop simples .
Imagine, mon Amour, les séances chez le psy : "Alors, vous monsieur, votre grand-mère au Maroc que pensait-elle des personnes d'Afrique noire ?". "Vous madame, revenons un peu à votre grand- père, après la Shoah, quelle sensation a t-il eu à la consécration de l'Etat d'Israël ? Et votre mère ?"
"Vous madame, lorsque l'on parle d'Apartheid, à votre avis, à quoi pense votre père? Et vous monsieur ?"
Ben oui, peut-être que Freud peut arriver à nous aider? Enfin, à mon avis c'est plus un allié pour moi que pour toi ! "Hihihi" (comme on dit en sms). Ben quoi ? C'est de bonne guerre et c'est bien normal qu'entre Yiddish on s'entraide, non ? J'espère que malgré tout le Qatar pourra nous payer nos séances, parce qu'il faut prévoir un bon budget, pour tout ça. Est-ce que l'Onu se déplace à domicile? Par skipe peut--être ?
Bon, revenons à nos moutons tendre Berger : un break d'été comme une rupture de dialogue, une rupture des relations diplomatiques, pour ne plus en venir ni aux mots, ni aux mains. C'est bien. Mais dans ce contexte avons-nous le droit de breaker ? N'avons-nous pas une responsabilité à vivre et faire attention à notre amour en grand et tout particulièrement en ce moment ?
A l'issue de ce break où tes yeux et ta peau me manquent plus que jamais, nous mélangerons nos âmes comme nous savons le faire, dans l'exode du désir, parce que nous ne pouvons par résister à cela et tu le sais. Alors, comment faire pour me fondre, moi l'afroyiddish à ta hanche maghrébomusulmano-sépharade ? Sacrée mission... Aurons-nous la force ?
Grand Amour, je ne peux me résoudre à manquer de courage. Mais, j'ai l'impression parfois, souvent, enfin de plus en plus souvent, que nous sommes tout petits face aux infos, aux journaux, aux replis, aux intolérances de masse, aux ignorants. Pourquoi, tous ces gens ne se sont pas réveillés il y a 40 ans contre les unions de nos parents respectifs?
Parce que là, maintenant que nous sommes sur terre et que nous nous sommes trouvés, qu'allons nous faire ? Les laisser gagner par nos break?
Ils se battent contre notre amour, Grand Amour, ils ne faut pas les laisser faire.
Ensemble, nous sommes grands et plus puissants que toutes leurs haines additionnées. J'en suis sûre.
Je ne suis pas philosophe, ni historien, ni penseur, ni expert, ni... humoriste. Même si l'on peut rire de tout, même de l'amour! Je ne suis qu'une vie qui fait confiance à son coeur et qui crie au monde notre Amour absolu, notre victoire sur l'intolérance inconsciente. Je t'écris cette lettre et ce n'est pas de ma faute si le conflit international s'invite dans notre intimité. Et ce n'est pas de ma faute si j'ai l'obligation de la partager avec tous ceux qui s'aiment, je suis chiante, tu le sais...
On a le droit au bonheur, le droit de s'aimer, le droit au plaisir, le droit à tout, et les bombardements et autres violences réveillent des douleurs qui ne nous appartiennent pas. Ici, c'est la France avec Joël, David, Olivier, Elie, Amal, César et Rosalie. Laissez-nous nous aimer. Nous sommes plus nombreux, j'en suis sûre, nous sommes plus nombreux à nous aimer entre juifs, musulmans, catholiques, noirs, arabes, nous sommes plus nombreux que ces actes de folies qui terrassent notre France malade. A nous de la soigner, grand Amour, comme si cette terre était notre enfant. Et, j'écrirai nos deux noms aux côtes de chaque trace antisémite, raciste, fasciste, islamophobe, homophobe, xénophobe pour les effacer... Oui, j'écrirai nos deux noms, entourés d'un coeur, j'écrirais nos deux noms...
Vivement la fin du break que je me fonde contre ton corps au goût d'épices. Tu vois, je fais comme tu as dit, je réfléchis. Je fais mes devoirs de vacances ici, parce que ici, c'est Paris, Grand Amour, et nous nous aimerons encore plus fort sur notre terre permise, c'est promis !
Je t'embrasse fort.
Rachel
NB : mon train arrive comme prévu mais je n'irais pas jusqu'à la Défense. Je marcherai vers Bastille, viens me chercher si tu peux à République ou à Nation.