INTERNATIONAL – Un coup de communication au premier jour du ramadan. Mais pas seulement. Engagés dans des combats en Irak et en Syrie, les djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), ont annoncé dimanche 29 juin l'établissement d'un "califat islamique" dans les régions conquises. Le calife désigne depuis sa mort (632) le successeur du prophète Mahomet dans le monde musulman, mais ce régime a disparu avec le démantèlement de l'Empire ottoman.
Dans un enregistrement audio diffusé sur internet au premier jour du ramadan, l'EIIL, qui se fait désormais appeler "État islamique" pour supprimer toute référence géographique, a désigné son chef Abou Bakr Al-Baghdadi comme "calife" et donc "chef des musulmans partout" dans le monde. Dans l'enregistrement, un porte-parole de l'EIIL, explique que le califat s'étendra d'Alep (nord de la Syrie) à Diyala (est de l'Irak), soit sur les régions conquises par ce groupe dans ces deux pays où ses milliers de combattants font la guerre au pouvoir en place.
"Musulmans (...) rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l'Occident. Revenez à votre religion", a lancé le porte-parole. S'adressant aux autres groupes djihadistes et islamistes, il a lancé: "Vous n'avez aucune excuse religieuse pour ne pas soutenir cet Etat. Sachez qu'avec l'établissement du califat, vos groupes ont perdu leur légitimité. Personne ne peut ne pas prêter allégeance au califat". Après les quatre premiers califes qui ont régné après la mort du prophète, le califat a connu son âge d'or au temps des Omeyyades (661-750) et surtout des Abbassides (750-1517) avant de connaître sa fin avec le démantèlement de l'Empire ottoman, lorsqu'il est aboli en 1924.
En Syrie, l'EIIL fait aussi face à ses anciens alliés rebelles et à d'autres groupes de djihadistes excédés par ses exactions et sa volonté hégémonique. Le groupe a fait de Raqa (nord) une "capitale" très organisée et contrôle une grande partie de la province de Deir Ezzor (est), ainsi que des positions dans celle d'Alep (nord).
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En Irak, où il bénéficie du soutien d'ex-officiers de Saddam Hussein, de groupes salafistes et de certaines tribus, le groupe est implanté depuis janvier dans la province d'Al-Anbar (ouest) et a mis la main en juin sur Mossoul, deuxième ville du pays, une grande partie de sa province Ninive (nord), ainsi que des secteurs des provinces de Diyala (est), Salaheddine et Kirkouk (ouest).
L'annonce de ce califat "est le développement le plus important dans le djihad international depuis le 11 Septembre" 2001, a affirmé Charles Lister, chercheur associé à Brookings Doha, en référence aux attentats d'Al-Qaïda aux États-Unis. "Cela pourrait marquer la naissance d'une nouvelle ère de djihadisme transnational (...) et cela pose un véritable danger à Al-Qaïda et à son leadership", ajoute cet expert, selon qui l'EIIL, qui a des partisans dans de nombreux pays, est également la formation djihadiste la plus riche.
Qui est Abou Bakr Al-Baghdadi ?
Le mystérieux chef de l'EIIL, désigné dimanche par son groupe "calife" de tous les musulmans, fait de plus en plus d'ombre au chef d'Al-Qaïda et pourrait bien être le jihadiste le plus influent au monde. Il reste une personnalité trouble et mystérieuse. Né en 1971 à Samarra au nord de Bagdad, selon Washington, il aurait rejoint l'insurrection en Irak peu après l'invasion conduite par les États-Unis en 2003, et aurait passé quatre ans dans un camp de détention américain.
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Les forces américaines avaient annoncé en octobre 2005 la mort d'Abou Douaa -un de ses surnoms- dans un raid aérien à la frontière syrienne. Mais il est réapparu, bien vivant, en mai 2010 à la tête de l'Etat islamique en Irak (ISI), la branche irakienne d'Al-Qaïda. Il a rebondi en élargissant ses activités à la Syrie voisine, rejetant ensuite l'ordre du chef d'Al-Qaïda Ayman Zawahiri de se concentrer sur l'Irak et de laisser la Syrie au Front Al-Nosra, un groupe jihadiste combattant contre le régime de Damas.
En avril 2013, Baghdadi a annoncé une fusion entre l'ISI et les combattants d'Al-Nosra pour former l'EIIL, mais ces derniers ont refusé d'adhérer. Les deux groupes ont commencé à opérer séparément, avant de s'affronter directement à partir de janvier en Syrie.
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Très peu de détails ont filtré sur la personnalité de Baghdadi, ou sur l'endroit où il se trouve. Les Etats-Unis, qui l'ont classé "terroriste" en octobre 2011, avaient déclaré l'an dernier qu'il se trouvait probablement en Syrie. Fin mai, un général irakien a déclaré que ses forces pensaient que Baghdadi était en Irak, mais d'autres responsables ont contesté ce point. Le visage de Baghdadi n'a été révélé qu'en janvier, lorsque les autorités irakiennes ont pour la première fois publié une photo noir et blanc montrant un homme barbu, au crâne dégarni en costume-cravate (une autre photo, visible ci-dessus a ensuite été diffusée par les Etats-Unis).
Le mystère qui l'entoure contribue au culte de sa personnalité, et Youtube voit fleurir les chants religieux louant ses vertus. Au sein de l'EIIL, il est salué comme un commandant et un tacticien présent sur le champ de bataille, contrairement à Zawahiri, son ancien supérieur et actuel rival, sur qui il prend de plus en plus l'avantage dans les sphères jihadistes. Si les combattants de l'EIIL sont majoritairement des Syriens en Syrie et des Irakiens en Irak, cette distinction lui vaut le soutien de nombreux jihadistes, probablement des milliers, venus de toute la région mais aussi d'Europe et au-delà.