FINANCE - Une amende record pour en faire un exemple. Selon le Wall Street Journal, BNP Paribas pourrait se voir infliger une pénalité de 10 milliards de dollars pour avoir contourné les embargos américains en Iran, à Cuba et au Soudan. Washington reproche à la banque française d’avoir d'avoir effectué des paiements en dollars dans ces pays, ce qui est complètement illégal depuis le milieu des années 2000.
Que représente 10 milliards de dollars pour BNP? Un peu plus de quatre fois le bénéfice net enregistré au premier trimestre. Il se pourrait toutefois que l’établissement parvienne à obtenir un montant réduit à 8 milliards de dollars, écrit le quotidien financier. Ces chiffres dépassent de loin l'amende infligée en 2012 à HSBC (1,9 milliard de dollars), accusée de complicité de blanchiment, et celle ayant frappé Standard Chartered Bank (670 millions de dollars) pour violation de l'embargo contre l'Iran.
Mais ce n'est pas tout. La BNP peut aussi s’inquiéter d'une autre sanction, bien plus grave qu’un gros chèque à signer. Elle pourrait perdre sa licence...
Le ministre américain de la Justice Eric Holder souhaite que l’établissement plaide coupable. Mis sous pression par le Congrès pour que les banques n'échappent plus à des sanctions sévères en payant simplement de grosses amendes, il pourrait se servir de BNP pour défendre son bilan. Début mai, il a déclaré qu’aucune banque n’était "au-dessus des lois", dans une référence à peine voilée aux enquêtes visant BNP Paribas.
La fin du "too big to jail" aux Etats-Unis ?
Même responsable, les grandes banques ont souvent été sauvées grâce à l’argument "too big to fail", qui résume l'importance de leur préservation au nom de la stabilité du système financier. A ce concept s’ajoute aussi le "too big to jail", qui explique qu’une banque ne peut pas non plus être "emprisonnée", au nom de l’équilibre financier.
"Les autorités judiciaires américaines ont développé une justice par la transaction", expliquent Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat dans leur ouvrage La Capture. "On propose à l'entreprise concernée d'éviter la publicité d'un long procès, des perquisitions médiatisées et le risque de perdre son droit d'exercer sur le marché américain". Autrement dit, ça coûte des milliards de dollars, mais évite une condamnation pénale et ses risques collatéraux en matière de réputation. Sauf qu’Eric Holder veut faire un exemple.
Un tel affront est rarissime dans l’histoire bancaire. Les experts notent que HSBC, pourtant convaincue d’opérations de blanchiment avec les cartels mexicains ou des organisations terroristes il y a deux ans, n’a pas eu à subir un traitement aussi infamant. C’est ce qui pousse les sénateurs américains à critiquer Eric Holder. Mais quel risque pour BNP?
Risque d’être jugée "criminelle" et de perdre sa licence
L’affaire pourrait aller au pénal, mettant en scène une BNP ayant délibérément violé la loi. A la clé, un éventuel statut de "criminel" et la possibilité de perdre la licence bancaire permettant d’exercer aux Etats-Unis. Même temporaire, la suspension de cette licence aurait des conséquences lourdes pour BNP, qui veut y développer ses activités de banque de financement et d'investissement. "Perdre le droit de transférer de l'argent en dehors des Etats-Unis, c'est une atteinte à son métier de base. C'est ce qu'elle essaye d'éviter au maximum", avance Gregori Volokhine, gérant de fortune chez Meeschaert Financial Services.
L’état major de la rue d’Antin s’est rendu à Washington il y a quelques jours pour éviter le drame. Le directeur général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé himself, a tenté d’arrondir les angles auprès du département de la Justice. Même Laurent Fabius aurait contacté son homologue pour demander la clémence, souffle Paris-Match. Mais tout indique que cette tentative n’a pas porté ses fruits… Nombreux ont aujourd’hui en mémoire le triste sort réservé à Arthur Andersen.
Jean-Laurent Bonnafé gère le dossier personnellement
Forcée à plaider coupable en 2001 pour sa responsabilité dans le scandale Enron, la société d’audit et de services fiscaux a fait faillite en quelques mois. De l'entreprise de plus de 9 milliards de dollars de chiffre d'affaires et 85.000 salariés, il ne reste désormais plus qu'une petite structure chargée de suivre les conflits liés à sa propre liquidation. Tout découle de son procès.
Depuis cette affaire, "les procureurs ont été réticents à déclarer une entreprise criminelle", souligne Bloomberg. C’est pourquoi "les procureurs ont travaillé de concert avec les régulateurs bancaires, qui sont allés rassurer les plus grandes sociétés financières américaines, leur promettant que la sanction n’allait pas entraîner une crise globale". Que décidera Eric Holder? Son avis sera scruté par les parlementaires américains, qui réclament la fin des passe-droits
Le patron de la banque américaine Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, a mis en garde contre les risques de sanctions trop dures pour le système financier. Etant donné les multiples connexions des banques du monde les unes avec les autres, cela pourrait affecter les relations de crédit à l'intérieur du système financier, a-t-il relevé. "Cela devient une décision de grand poids d'écarter quelqu'un, et nous ne devrions pas le faire à la légère."
Lloyd Blankfein, ardent défenseur de BNP aux Etats-Unis
L’exemple du Crédit Suisse
Sanctionné à hauteur de 2,6 milliards de dollars la semaine passée, Crédit Suisse a été contrainte à plaider coupable dans une affaire d’évasion fiscale. La clé du pacte conclu entre les autorités américaines et la banque "a été de négocier une assurance que les régulateurs n’allaient pas révoquer la licence de Credit Suisse aux Etats-Unis, ce qui aurait eu des conséquences immédiates", explique le Financial Times.
Même si l’impact de la nouvelle "ne va peut-être pas être ressenti immédiatement", de premières indications recueillies par Bloomberg indiquent que "la plupart des partenaires de Crédit Suisse ne vont pas tourner le dos à la banque". De nombreux médias rappellent par exemple que Goldman Sachs essaierait de poursuivre ses activités avec l’établissement.
L’assureur New York Life Insurance n’est toutefois pas de cet avis. John Kim, le directeur des investissements de la société qui gère plus de 500 milliards de dollars, a déclaré à l’agence financière qu’il allait "réévaluer les relations avec la banque" dont il est le client. "Nous voulons déterminer dans quelle mesure il y a une systématique dans cette institution qui l’a conduite à mal se comporter, et dans quelle mesure cela pourrait affecter la division de la banque d’investissement", a-t-il menacé. De mauvais augure pour BNP?