CROWDFUNDIND - Et dire qu'il y a un an et des poussières ce gouvernement subissait les foudres des entrepreneurs... Dans la foulée du déplacement de François Hollande dans la Silicon Valley, Fleur Pellerin a poursuivi l'offensive de charme avec l'encadrement du financement participatif, aussi appelé "crowdfunding". Visiblement très marqué par son passage à La Mecque des hautes technologies, le président souhaite que ce dispositif devienne en France "aussi incitatif qu'aux Etats-Unis". Et sa ministre déléguée aux PME, à l'Innovation et à l'Économie numérique ne s'est pas faite prier. Les entrepreneurs sont conquis.
Dans les grandes lignes, les start-up pourront lever jusqu'à un million d'euros via les plateformes dédiées (Finance Utile, Happy Capital, Wiseed, SmartAngels...), contre 300.000 euros auparavant. Cela pourra se faire soit sous forme de prêt, soit en offrant à l'internaute une part du capital. De quoi donner un coup de fouet à cette méthode alternative, grâce à laquelle les investisseurs peuvent désormais mettre un maximum de 1000 euros par projet, contre 250 euros jusqu'à présent.
Et on peut dire que ça fonctionne chez les intéressés. "C'est top", explique Charles Egly, fondateur de Prêt d'Union, success story de la start-up à la française, dont le coeur de métier se concentre justement sur le financement participatif. Prêt d'Union est le premier établissement de crédit entre particuliers. "C'est un geste très fort de la part du gouvernement", souligne cet entrepreneur qui a lui-même subi le défi de trouver des investisseurs. "Cet assouplissement comble un trou béant, car les banques traditionnelles n'ont pas l'habitude de rentrer dans des projets inférieurs à un million d'euros".
La fin de la "vallée de la mort du financement"
S'il est possible de réunir 250.000 euros assez facilement pour monter un projet (famille, réseau...), ça se complique ensuite pour débloquer des sommes allant jusqu'à un million d'euros. "Les projets trop iconoclastes ne parviennent pas à convaincre les banquiers", expliquait en septembre Fleur Pellerin. C'est donc là que les plateformes de crowdfunding interviennent, grâce à l'augmentation de leur plafond.
Une fois cette "vallée de la mort du financement" comblée, les entrepreneurs devraient donc trouver des solutions alternatives pour faire naître leurs idées. "J'aurais pu accélérer mon développement si ce dispositif existait quand j'ai lancé il y a 4 ans", estime Ismaël Le Mouël, le fondateur de HelloAsso, plateforme destinée à financer des associations. "A la place, j'ai levé 250.000 euros auprès de business angels". Pour Charles Egly de Prêt d'Union, la première levée était de 500.000 euros, soit en plein milieu de ce trou de financement. "Le crowdfunding aurait beaucoup pu m'aider à l'époque", à un moment où Xavier Niel n'était pas encore dans son capital.
Depuis Prêt d'Union a fait du chemin. La plateforme a octroyé 43 millions d'euros de crédit en 2013, soit une augmentation de 375% par rapport à l'année passée. Pour 2014, l'entreprise table sur 100 millions d'euros de crédits. Une belle réussite pour ce projet qui court-circuite la banque traditionnelle. Et si Prêt d'Union s'occupe uniquement du financement de crédits à la consommation, son fondateur a ardemment défendu les positions du crowdfunding. Pour un résultat qui le satisfait aujourd'hui.
Chez HelloAsso, qui vient de franchir la barre des 5 millions d'euros collectés pour plus de 2000 associations, "on salue l'intérêt du gouvernement sur cette thématique". Point noir toutefois, Ismaël Le Mouël regrette que le gouvernement a mis le paquet sur le financement des start-up, en "oubliant" les associations. En effet, le projet de réforme ne répond qu'à une ligne: favoriser l'émergence d'entreprises innovantes.
Pellerin, VRP de la "start-up France"
La posture pro-business du gouvernement est incarnée par Fleur Pellerin à Bercy. Présente sur tous les fronts (salon CES de Las Vegas, dossier Netflix, présence en Silicon Valley...), la ministre se veut la "VRP" d'une France attrayante pour les entreprises innovantes. "Il faut accroître la visibilité et l’attractivité de l’écosystème français, faire de la France la destination privilégiée des talents de l’innovation, il ne faut pas tomber dans le défaut français du savoir-faire sans le faire savoir", expliquait-elle fin novembre. Beaucoup de communication donc, mais aussi de la concertation avec les intéressés, comme pour l'encadrement du crowdfunding.
"Les équipes de Fleur Pellerin ont été très bonnes sur le sujet", constate Charles Egly de Prêt d'Union. Et ce n'était pas gagné. La première version du texte, présentée le 30 septembre, avait suscité une grande déception. Plafond des levées de fonds trop bas, exclusion des sociétés par actions simplifiées (SAS) du dispositif... Le cocktail détonant pour un accueil exécrable auprès des entrepreneurs, notamment après l'épisode des "pigeons".
Fleur Pellerin a donc revu sa copie, avec des ajustements salvateurs, mais aussi une plus grande simplicité à l'égard des cibles potentielles. Dans la première version du texte, les start-up ne pouvaient donner aucune visibilité à leur projet pour allécher les investisseurs. Par exemple, le nom de l'entreprise n'était pas visible pour les internautes. Ces derniers devaient remplir un long formulaire avec déclaration de revenus et de patrimoine pour y accéder. Plus dissuasif que ça, tu meurs. Et quand on regarde du côté des réussites américaines (sur la plateforme Kickstarter notamment), les vitrines sont beaucoup plus incitatives.
"Depuis 2010, le crowdfunding n’a permis de financer que 15.000 projets environ. Et en 2013, seulement 60 millions d’euros ont été levés par ce biais", expliquait la ministre au début de l'automne dans 20 Minutes. "Le financement participatif a donc une marge de développement importante. Ce montant pourrait doubler grâce aux mesures que nous prenons". Après la présentation du nouveau texte, les chances sont effet démultipliées.
Le cadre est installé: il faut maintenant une success strory
Selon le cabinet américain Massolution, ce marché devrait bondir de 88% en 2013, et atteindre 3,7 milliards d'euros dans le monde. Et le rythme s'accélère. Il existe plus de 800 plates-formes de ce type dans le monde, dont une cinquantaine dans l'Hexagone.
Attention toutefois: l'assouplissement du financement participatif ne va tout résoudre. Très peu de dossiers sont financés à 100% par des particuliers. "Ce type d'investissement reste une formule très incertaine pour faire du profit en pariant sur un projet", prévient Charles Egly. En effet, en achetant 1000 euros de parts dans une start-up séduisante, rien ne vous assure que vous reverrez vos euros. C'est l'autre danger de cette pratique: l'Etat veut légiférer en imposant des plafonds car le risque est important pour l'apprenti business angel.
Il ne faut donc pas s'attendre à voir un "boom" immédiat de projets qui se monteraient par milliers sur les plateformes de crowdfunding. "Nous n'avons pas encore assez de recul sur ce type de pratique", tempère à son tour Ismaël Le Mouël d'HelloAsso, "il faut encore que le système fasse ses preuves". Que faire alors pour que ce vrai relai de croissance passe la seconde? "Les investisseurs potentiels ont besoin de success stories pour passer le cap", estime le jeune patron. Finalement c'est maintenant que le plus dur commence...