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Nouvelles technologies : "on sent qu'une vraie demande émerge des professionnels"

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Aider les travailleurs sociaux dans l’usage des nouvelles technologies, c’est ce que propose une recherche-action conduite en région Paca depuis septembre 2015. Explications avec Audrey Bonjour, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Aix-Marseille.

La « révolution » du numérique n’est pas un mot creux dans le champ social et médico-social. Pour la première fois de leur histoire, les travailleurs sociaux sont confrontés à un ensemble de technologies qui influencent leurs relations avec les usagers. Dans les services, la diffusion des objets connectés s’accompagne de nouvelles formes de médiations éducatives. L’habileté des personnes souffrant de déficiences intellectuelles à maîtriser ou non l’ordinateur brouille toutes les classifications traditionnelles du handicap. La réalité virtuelle ouvre sur des modes d’apprentissage inédits, tant auprès des professionnels que des usagers et des familles. C’est jusqu’à la façon de concevoir l’intervention sociale sur les territoires qui, en quelques années, s’est modifiée. Comment se pensent les usages du numérique dans des institutions et des services où prime la relation d’aide ? Quelles perspectives offrent-ils ? Avec cette nouvelle série « Le travail social à l’heure du numérique », TSA entend alimenter le débat.

 
TSA : Quel est le contexte de la recherche à laquelle vous participez et quel est son objectif ?

Audrey Bonjour : Les chercheurs en communication se penchent depuis des années sur l’appropriation des nouvelles technologies dans le champ du travail social. Mais, pour la première fois, on sent qu’une vraie demande émerge des professionnels. Il y a un an ou deux encore, ceux-ci pouvaient estimer qu’ils pourraient passer outre les nouvelles technologies. C’est désormais de moins en moins possible. Une forme de pression à la fois technique et sociale s’exerce aujourd’hui sur les établissements, notamment avec des usagers qui viennent équipés de smartphones, de tablettes numériques, ou encore avec les administrations qui poussent à la dématérialisation des données. Volontairement ou non, les pratiques professionnelles sont impactées en générant un fort besoin d’accompagnement. D’où cette recherche-action, lancée en septembre 2015 à l’initiative du Gepso (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux) et du Creai Provence-Alpes-Côtes d’Azur. Il s’agit de suivre pendant trois ans un panel de huit établissements sociaux et médico-sociaux engagées dans une transition technologique ou souhaitant s’y engager. L’enjeu et l’originalité du projet est d’analyser les usages et les pistes technologiques d’avenir à développer, cela dans une perspective de formation des professionnels.

Alors que les nouvelles technologies ont investi l’ensemble de la société, en quoi posent-elles plus de difficultés dans le travail social ?

Les nouvelles technologies vont permettre dans un proche avenir de concevoir et de réaliser de nombreuses activités jusqu’alors accomplies dans des échanges interpersonnels, qui sont le fondement de toute action dans le champ social et médico-social. D’où un débat très spécifique. Des professionnels nous disent qu’ils aimeraient parfois contrôler l'irruption des technologies dans l’institution, voire les exclure ou faire comme si elles n’existaient pas. Sauf qu’elles se rappellent invariablement à eux, qu’elles sont demandées, et qu’il faut faire avec. Les moins préparés se retrouvent confrontés à des difficultés à plusieurs niveaux. Ethiques, tout d’abord, parce que la problématique se pose désormais en termes de droit et d’accès à l’information. Ne pas donner accès à Internet revient à exclure des personnes déjà en situation d’exclusion. Et moraux, ensuite, car on ouvre sur des situations inédites, par exemple avec des enfants sous mesure de protection – donc censés ne plus avoir de contacts avec leurs parents – qui continuent d’être en lien avec eux via SMS, courriels ou Skype.

Peut-on parler de freins culturels propres au travail social ?

Certainement. Un directeur du panel pointait le paradoxe de professionnels qui consultent leur smartphone ou utilisent les réseaux sociaux devant les usagers, mais ne savent pas comment accompagner ces mêmes usagers dans des pratiques responsables. On trouve des résistances jusque sur le dossier informatisé, avec des travailleurs sociaux qui refusent de se faire imposer un logiciel, ou avec la crainte encore très vive que ce qui est écrit se retourne contre l'établissement ou l’usager.

Pour l’heure, quelle forme prend la greffe des technologies dans le secteur ?

On retrouve un peu partout les mêmes outils, adaptés en fonction du type de public, de l’âge ou du handicap, notamment ordinateurs, tablettes, tableaux interactifs, en parallèle aux aides techniques numériques. En réalité, la place et l’utilisation des technologies restent très dépendantes d’une politique d’établissement, elle-même souvent induite par un directeur féru d’informatique. S’il part, il n’en reste rien. En outre, quelle que soit l’avancée de l’institution, on retombe sur le même point aveugle : les professionnels qui s’emparent de ces technologies ne sont pas préparés à leur utilisation. L’exemple le plus flagrant est celui du robot éducatif NAO, parfois utilisé avec les enfants autistes. Non seulement il faut savoir le programmer, mais qu’en fait-on concrètement ?

Sur quoi comptez-vous déboucher en 2018 ?

L’idée est d’aboutir à des contenus pédagogiques pour la formation intra-muros aux usages des technologies numériques. Sans actualisation de la culture professionnelle, il y aura toujours autant de stratégies que d’individus. Mais les lieux de formation des futurs travailleurs sociaux vont devoir aussi s’emparer du sujet, pourquoi pas en proposant des modules spécialisés. C’est d’autant plus nécessaire qu’on tend vers une transformation du périmètre de compétences des professionnels, avec de nouvelles façons de travailler, voire de nouveaux métiers, tels que les postes de chargés de projet informatique qui commencent à apparaître dans certains gros établissements.

 

Huit établissements sous la loupe des chercheurs (fiche technique)

Pilotage de l’étude : Creai Paca-Corse, université Nice Sophia Antipolis, université Aix-Marseille, Gepso.

Participants : 8 établissements handicap-précarité-grand âge associatifs ou publics de la région Paca (CHRS, Mas, Fam, IME, Ehpad) repérés pour leurs usages ou leurs attentes du numérique.

Durée : 3 ans (2015-2018).

 

Marc-Michel Faure
Ecrit par
Marc-Michel Faure

Commentaires (1)

| 11/03/2016 - 08:45

LE CAUCHEMAR PARFOIS

L'envahissement du numérique simplifie surtout la vie des fonctionnaires destinataires de nos formulaires ! Un seul exemple : le cauchemar de la signature électronique pour Sylae : une fois ce sont les dernières versions de Java qui sont incompatibles, une autre fois celle de Mozilla, et maintenant, alors que je viens de renouveler la signature pour trois ans en y enregistrant le certificat sur un nouveau PC, c'est Windows 10 qui n'est pas compatible ! Et quand on s'adresse aux fonctionnaires qui ne savent pas évoluer, la réponse est toujours la même : "Contactez votre service informatique". 25 salariés, directeur et seul cadre, le service informatique, c'est moi ....Vous avez dit "simplification" ? On y passe des heures !!!
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