Dans les régimes représentatifs, en France comme ailleurs, les élections offrent aux divers camps politiques l’occasion de compter leurs partisans. Dans une perspective plus démocratique, où une communauté cherche à s’harmoniser le plus égalitairement possible plutôt qu’à se scinder en partis sous la tutelle de petits chefs, les nombres ont moins d’importance, reste qu’ils peuvent donner un sentiment d’ensemble, qui sans doute manque aujourd’hui aux diverses initiatives de réinvention du politique.

Il m’arrive souvent de me sentir politiquement seul. Surtout quand des mouvements de masse après des attentats me paraissent aller dans le mauvais sens pour de mauvaises raisons. J’ai alors besoin de revoir mes amis, d’échanger avec eux, de me réconforter auprès de leur chaleur. Nous serions plus sereins si nous nous connaissions mieux, plus largement, au-delà de nos petites communautés. Nous pourrions mieux travailler ensemble, mieux reconstruire ce qui s’effondre par ailleurs et auquel nous ne croyons plus.

J’ai rencontré il y a peu des voisins proches de moi. Par hasard. Peut-être faut-il forcer le hasard. Inventer un accélérateur de changement. Bien sûr sans créer un nouveau mouvement politique, sans créer un parti, sans dresser un drapeau, sans demander aux uns et aux autres de prendre leur carte, et encore moins de voter pour quoi que ce soit. Il s’agit plutôt de pouvoir nous trouver, au-delà de nos inévitables divergences particulières, en nous appuyant sur notre rejet de ce qui ne marche plus, et mieux encore sur nos projets.

Note. Si nous pouvons nous trouver, nos adversaires pourront nous trouver. Nous devons courir ce risque. Que certains se cachent derrière l’anonymat en certaines circonstances, c’est une possibilité qui ne peut s’étendre à tous si nous voulons faire émerger une nouvelle vie sociale.

Comment donc nous trouver au-delà de notre proche entourage ? Créer un site Web ? Demander aux uns et aux autres de se déclarer ? Je n’y crois guère, cela revient à s’encarter, à rejoindre un mouvement dès le départ trop clairement identifié. Il nous faut quelque chose de plus organique, de plus souple, de plus flouté et aussi de plus résiliant. Le site Web, c’est obliger tout le monde de passer par le même point. C’est une approche centralisée de la communication politique. C’est du top-down en quelque sorte. On n’est pas très loin du modèle représentatif dès que le site représente plus qu’une personne.

Une nouvelle organisation sociale, démocratique, égalitaire, horizontale doit renoncer à toute forme de coercition. Ainsi la mise en relation des forces émergentes et encore indistinctes doit se faire de façon décentralisée. Je ne peux alors m’empêcher de penser aux monnaies libres en cours d’élaboration, notamment à ucoin. Elles respectent les trois règles d’Olivier Auber :

  • A) Tout agent A a un droit réel d’accès au réseau et réciproquement il peut le quitter librement.
  • AB) Tout agent B (présent ou futur, y compris les agents qui conçoivent, développent, administrent et font évoluer le réseau) est traité comme l’agent A.
  • ABC) L’appartenance des agents A, B et C (ABC étant le début d’une multitude) à un réseau satisfaisant aux deux premiers critères, suffit à ce qu’ils se reconnaissent comme pairs.

Dans le cas d’une monnaie libre, on devient membre de la zone économique par cooptation, par exemple de trois membres déjà actifs. Cette cooptation définit la confiance, confiance qui ne cesse de se renouveler en même temps qu’on échange avec d’autres agents.

Dans le champ politique, on peut imaginer que des agents de sensibilité proche en invitent de nouveaux qui, à leur tour, en invitent d’autres. Ainsi le réseau des amis s’étend peu à peu, construisant un réel réseau social. L’amitié peut être symbolisée par l’équivalent d’une transaction monétaire. « Je te donne un jeton et si tu l’acceptes nous partageons un ensemble de valeurs. » Ces valeurs peuvent être inscrites sur le jeton même. Chacun pouvant éditer le jeton qu’il a reçu avant de le transmettre. Quand on accepte plusieurs jetons, on peut fusionner leurs messages et faire évoluer en quelque sorte ses règles de vie, ses objectifs, ses rêves pour demain. On peut les transmettre à nouveau, faire en sorte que la base de philosophie politique s’enrichisse.

Particularité des monnaies de type ucoin, elles reposent sur une blockchain. Selon le principe du P2P, c’est une base de données répartie entre tous ses utilisateurs, chacun devenant un nœud, chacun disposant d’un logiciel dit de minage qui vérifie l’intégrité des données enregistrées. Pour pouvoir modifier une transaction, il faut pirater au moins la moitié des nœuds, ce qui devient de plus en plus difficile au fur et à mesure que la communauté grandit.

Les données en partage sont ainsi infalsifiables, sans que personne en particulier de les administre ou les censure. Un réseau de rénovation politique reposant sur une telle architecture ne dépendrait ni de l’État, ni d’un chef, ni même d’une communauté en particulier. Une fois booté, il vivrait de lui même. La chaîne des blocs de la base de données serait la métaphore de la chaîne des individus interconnectés. Traverser cette chaîne permettrait de remonter les amitiés, de les étendre, de les rassembler pour des projets d’action concrète.

Plus ce réseau se densifierait, plus nous formerions communauté, plus les informations circuleraient entre nous, aussi bien à l’échelle locale que globale. Plutôt que de nous enfermer dans nos jardins, nous nous reconnaîtrions et nous stimulerions les uns les autres, les forces de chacun redoubleraient de celles de ses voisins dans le réseau.

Une telle infrastructure sociale nous arracherait des silos tant étatiques que capitalistes. J’ai l’intuition qu’il pourrait s’agir d’un fantastique booster. Les réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter ont échoué à nous rapprocher. Ils reposent sur la dispute de l’attention, par nature rare. Il ne s’agit plus dorénavant de faire audience, mais de nouer des liens qui libèrent et qui font œuvre.

Si je sens la chaîne d’amitié qui me lie à des millions d’autres, je suis plus fort, moins seul, plus sûr et plus puissant. Je suis moins sous le joug des vieilles sirènes encore persuadées qu’il n’existe qu’un modèle politique, celui de la représentation, celui de la solution miracle qui viendrait d’en haut.

Grâce à une blockchain des amitiés philosophiques, nous pourrions nous organiser de proche en proche, nous auto-organiser, créer, inventer, construire. Nous pourrions devenir une puissance de changement irréversible, car forte de millions de citoyens du monde.

Selon cette perspective techniquement à nos portes, des utopies deviennent possibles. Un avenir inpensabe s’ouvre à nous, quand toute la puissance de chacun circule librement sans entrave, sans autre contrôle que celui de l’amitié.

Tout reste à construire, à conceptualiser, tant du côté informatique que du côté philosophique, mais la multiplication des projets blockchain est de bon augure. Il reste à miner tout cela, à le mettre le cul par-dessus la tête.

L’idée n’est pas d’éradiquer la coercition, mais de la laisser hors de la chaîne.

L’idée n’est pas de créer un nouveau parti, encore moins un syndicat, qui réclamerait quelque chose à un pouvoir en place, mais d’agir ensemble, concrètement, de construire et non de revendiquer. C’est parce que seul on ne peut tout faire qu’il faut pouvoir se retrouver si nécessaire, et ce sera nécessaire pour réinventer l’école, la monnaie, la santé…

Blockchain, nous promets de passer de l'architecture du Net à une réelle architecture décentralisée, une architecture maillée.
Blockchain, nous promets de passer de l'architecture du Net à une réelle architecture décentralisée, une architecture maillée.