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Déchets nucléaires

Le gouvernement profite de la loi Macron pour imposer sans discussion le projet Cigéo de déchets nucléaires

La loi Macron votée ce jeudi 9 juillet a intégré subrepticement une disposition sans discussion. Le gouvernement a accepté un amendement favorisant la création du projet Cigeo d’enfouissement des déchets nucléaires. EELV espère que le Conseil constitutionnel sanctionnera ce « cavalier législatif ».


Actualisation 6 août 2015 - Le Conseil constitutionnel censure l’article de la loi Macron facilitant l’enfouissement des déchets nucléaires


Actualisation - 9 juillet 2015 à 17 h 00

L’amendement pro-Cigéo s’est inscrit définitivement dans la loi Macron, adoptée cet après-midi à l’Assemblée nationale.

La loi concerne officiellement « la croissance et l’emploi ». Manuel Valls a, pour la troisième fois en quelques mois, fait usage de l’article 49-3 de la Constitution, suspendant ainsi tout débat sur ce projet de loi qui sera donc définitivement adopté, sauf si une motion de censure est déposée dans un délai de 24 heures - ce qui n’est pas à l’ordre du jour.

Dépités, les écologistes misent désormais sur le conseil constitutionnel pour recaler un « cavalier législatif n’ayant rien à voir avec la croissance et l’activité » .

-  Télécharger le texte de la loi Macron votée le 9 juillet 2015 :

(en ce qui concerne Cigéo, voir article 201 p. 211).


Jeudi 9 juillet, 15 h 00

Alors qu’une commission spéciale sur le projet de loi se réunissait ce jeudi matin, un deuxième amendement a été déposé.

Après avoir défendu l’amendement déposé au Sénat par Gérard Longuet – validé avec « avis favorable » par cette commission – François Brottes, député PS et rapporteur de la loi sur la Transition énergétique, a lui-même déposé un amendement sur Cigéo.

« S’il diffère quelque peu dans l’exposé des motifs, le contenu est identique. L’amendement est doublé, en quelque sorte », explique Jean-Louis Roumégas, député EELV de l’Hérault et membre de cette commission spéciale sur la loi Macron. « Il l’a justifié par un ’fait nouveau’ : la difficulté financière d’Areva qui nécessiterait d’accélerer… un argumentaire complètement hors-de-propos ».

Le député de l’Hérault craint que M. Brottes ait agi « sur ordre du gouvernement ». Si l’utilisation du 49-3 doit être confirmée d’une minute à l’autre, le Gouvernement aurait alors la possibilité de revenir sur ces amendements, en choisissant de les garder ou non. « Il en a la totale et l’entière responsabilité. Si Cigéo passe, c’est non seulement une rupture de confiance et un déni de démocratie, mais c’est un acte potentiellement irréparable et gravissime pour l’écologie » prévient Jean-Louis Roumégas. De dernières tractations étaient en cours en début d’après-midi entre le groupe écologiste de l’Assemblée nationale et le cabinet de Matignon.


8 juillet 2015

Mercredi 1er juillet, le Sénat a adopté en plénière, en nouvelle lecture, le projet de loi Macron, un texte sur lequel le gouvernement a déjà engagé deux fois sa responsabilité. Dans cette nouvelle version, l’article 54bisAA, visant à favoriser l’ouverture de Cigéo, est bien présent. Il avait été introduit le 18 avril dernier, au Sénat déjà, dans un hémicycle quasiment vide, à 5h du matin (Reporterre avait raconté cet épisode surprenant)…

Allers-retours législatifs

L’article a été retiré, mi-juin, lors du passage devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale. Et malgré de nouvelles tentatives d’introduire ces dispositions lors du nouveau passage devant l’Assemblée nationale, l’utilisation du 49-3 annule les débats et l’examen des amendements, proposés par plusieurs députés de droite dont M. Bertrand Pancher (voir ci-dessous).

Sortie du texte de loi, la disposition y est cependant revenue puisque, dès le 19 juin, M. Longuet a déposé pour la troisième fois, en commission spéciale du Sénat, son amendement facilitant l’autorisation de Cigéo. Cet acharnement joue du flou qui règne sur les votes et les débats : « L’amendement a été noté comme rejeté pendant quelques heures avant d’être finalement adopté. C’est curieux, on ne sait pas ce qui s’est passé », relate Romain Virrion, directeur de Mirabel Lorraine Nature environnement, qui suit de près les débats.

L’hémicycle de l’Assemblée Nationale

Deux amendements tentent alors de s’opposer à la disposition pro-Cigéo, mais ils ne sont pas votés. « Les choses étaient plus tranchées encore qu’en avril car ce n’était plus seulement Gérard Longuet mais toute la commission spéciale du Sénat qui soutenait Cigéo », explique Jean Desessard, député EELV porteur d’un des deux amendements d’opposition. L’article favorable à Cigéo est donc bel et bien réintroduit dans le projet de loi Macron.

« C’est très difficile à suivre pour la société civile. Tous ces allers-retours entre les les chambres du Parlement, entre commissions spéciales et séances plénières, etc. Là, c’est un sujet tellement important qu’on y consacre beaucoup d’attention, mais on imagine que sur plein d’autres sujets », avoue Romain Virrion.

Treizième tentative de glisser en douce le projet

Et pour cause : en moins d’un an (septembre 2014), c’est la treizième « tentative de glisser en douce l’autorisation du projet » dans une loi, a compté la coalition des associations écologistes qui regroupe notamment Les Amis de la Terre, France nature Environnement et le Réseau Sortir du Nucléaire.

Une chronologie de ces « intrusions de modifications législatives » a même été réalisée, depuis la toute première tentative, qui concernait alors la loi de transition énergétique (voir également à ce sujet le reportage de Reporterre) :

-  Chronologie à télécharger :

Emmanuel Macron

« Cela commence à faire beaucoup de tentatives, remarque Romain Virrion. Signe qu’il doit y avoir des pressions importantes. » Signe aussi, peut-être, de l’indécision du gouvernement en la matière. Si les véritables convictions de Ségolène Royal restent incertaines sur le sujet, la position d’Emmanuel Macron est simple : « Il m’a dit qu’il était favorable à Cigéo, il attend juste le bon moment politique », glisse Bertrand Pancher, député UDI de la Meuse et lui-même favorable au projet.

L’opportunisme pourrait-il se concrétiser aujourd’hui, au moment de l’adoption définitive de ce projet de loi ? « Le gouvernement n’a pas caché qu’il fallait qu’il y ait une décision par rapport à certaines échéances dans le dossier », dit Jean Desessard. Mais le sénateur se veut rassurant : la disposition pro-Cigéo ne sera pas reprise dans le texte final de la loi Macron, selon lui, l’Assemblée nationale ayant depuis le début marqué son opposition. « Les travaux des sénateurs ressemblent fort à un coup d’épée dans l’eau dans la mesure où l’Assemblée examine en lecture définitive le texte qu’elle a adopté le 18 juin, et non celui issu du Sénat », rappelle le journaliste Laurent Radisson pour Actu-environnement.

Mais du côté de la société civile, on prône la plus grande vigilance : « Il faut rester prudent, vu tout ce qui s’est passé avant. Nous ne sommes pas à l’abri, qu’au dernier moment, pour des raisons qu’on ne saurait expliquer, cela change encore », prévient Romain Virrion. Réponse jeudi.


Le responsable du Pôle Ecologie de l’UDI est favorable à Cigéo

Bertrand Pancher, responsable du Pôle Ecologie de l’UDI (Union des démocrates et indépendants), fait partie des quelques députés qui ont tenté de porter, le 15 juin à l’Assemblée nationale, un amendement demandant la réintroduction de Cigéo dans la loi Macron.

Joint au téléphone par Reporterre, il se dit favorable au projet et s’en explique : « Il y a un milliard d’euros sur la table, il est temps d’avancer sur la phase opérationnelle. Un débat public a eu lieu et a tranché la question de l’enfouissement, inscrite dans la loi de 2006. Il n’y a plus lieu de rediscuter l’éventualité du stockage, l’enjeu est de discuter les conditions d’enfouissement ».

Le député de la Meuse, « satisfait par le Sénat » qui a réintroduit la disposition dans la loi Macron, se veut confiant dans l’évolution du projet : « S’il n’est pas adopté dans ce texte de loi, il le sera dans un prochain. J’espère juste qu’il ne faudra pas attendre une nouvelle majorité pour cela. Le gouvernement actuel n’a pas envie de remettre en cause un projet qui a été voté par la droite et par la gauche, mais il doit composer avec Europe Ecologie-les Verts qui en a fait un marqueur politique, comme tous les sujets qui touchent au nucléaire. »

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