20 ans dans un quartier

MILE END, L’ENGAGÉ

Aimer son quartier au point d’y vivre des décennies… Pour cette série, Nathalie Collard s’est entretenue avec des passionnés de leur quartier. Aujourd’hui : Mile End  Mardi prochain : Vieux-Longueuil

« Dans les années 50 et 60, le Mile End était un lieu d’arrivage. C’est là que les immigrants débarquaient et, au fil des ans, c’est demeuré un quartier qui attirait les nouveaux arrivants. J’ai décidé de m’y installer il y a 40 ans », raconte Claudine Schirardin, qui s’est d’abord établie rue Hutchison avant de se marier avec un Français et d’acheter une maison rue Jeanne-Mance.

Trente-sept ans, deux enfants et quelques petits-enfants plus tard, le couple vit toujours dans la même maison. « En arrivant dans le Mile End, on a très vite compris que nos voisins – des gens qui venaient d’un peu partout : Italie, Portugal, Chili, États-Unis – avaient à cœur de tisser des liens. Quand tu viens d’ailleurs, tu as besoin des autres… », souligne cette Suissesse d’origine.

Quand Claudine Schirardin a emménagé dans sa nouvelle maison, à la fin des années 70, une voisine hassidique est tout de suite venue lui souhaiter la bienvenue. Le ton était donné. Avant d’être un quartier à la mode – celui du restaurant Lawrence, d’Arcade Fire, de Frank & Oak et des hispters – le Mile End est un quartier multiculturel où la vie communautaire compte pour beaucoup.

« Quand mes fils étaient jeunes, je n’étais jamais inquiète si je n’étais pas à la maison pour le retour de l’école, affirme Mme Schirardin. Je savais qu’ils pouvaient aller frapper à sept ou huit portes où quelqu’un les accueillerait en attendant que je revienne du travail. »

UN PROBLÈME, UN COMITÉ

L’esprit communautaire qui règne dans les rues du Mile End se traduit dans les faits par une vie associative très dynamique. S’il y a un problème dans le voisinage, on peut être assuré qu’un comité sera mis sur pied pour en discuter. C’est que le quartier est peuplé de citoyens engagés.

« Quand on arrive dans le Mile End, notre vie va plus loin, elle a des tentacules. »

— Claudine Schirardin

Elle en sait quelque chose. Alors que son aîné était âgé de 4 ans, la jeune maman proposait de créer un service de garde à l’école Lambert-Closse, à quelques rues de chez elle. Non seulement a-t-elle convaincu l’école, mais Claudine Schirardin a dirigé le service de garde, un des rares à Montréal au début des années 90, pendant presque 20 ans.

À la même époque, avec des voisins, Mme Schirardin fondait également le Comité des citoyens du Mile End dont elle fait encore partie aujourd’hui. « On souhaitait améliorer la qualité de vie des résidants du quartier, préserver des bâtiments, verdir les rues, explique cette militante dans l’âme. On était à l’origine du mouvement de protection du Rialto. C’est aussi nous qui avons organisé la fête de la Saint-Jean sur Saint-Viateur. Au début, on était 150 personnes. Douze ans plus tard, nous étions 15 000. »

UN QUARTIER PEUPLÉ D’ARTISTES

Le Mile End est reconnu internationalement pour ses hipsters et pour les nombreux musiciens qui y habitent (c’est dans ce quartier qu’est né le fameux « son de Montréal »), mais c’est aussi un quartier très prisé des artistes en arts visuels.

« On en a vraiment pris conscience à la fin des années 2000, lorsque l’arrondissement a décidé de prolonger la rue Saint-Viateur jusqu’à la rue Saint-Denis, raconte Claudine Schirardin. Ça nous a forcés à penser à l’est du Mile End alors que dans notre esprit, le Mile End s’arrêtait au boulevard Saint-Laurent. En organisant des cafés citoyens, nous avons rencontré les artistes qui occupaient des ateliers dans les édifices des rues De Gaspé, Casgrain, etc. Finalement, il n’y a pas eu de prolongement de rue et on a réussi à préserver des étages qui seraient réservés exclusivement aux ateliers d’artistes pour une période d’environ 30 ans. Et malgré cela, certains d’entre eux n’ont plus les moyens de rester dans le quartier. »

MILE END, VICTIME DE SON SUCCÈS ?

Comme Brooklyn, le Mile End est un peu victime de son succès. Au fil des ans, les nouveaux propriétaires ont détruit les hangars, rénové les maisons et embelli les ruelles. Aujourd’hui, c’est un quartier très recherché où les maisons peuvent dépasser le million de dollars.

Plusieurs « vieux résidants » n’auraient même plus les moyens d’acquérir leur demeure.

« Quand on a acheté, la maison représentait deux années du salaire de mon mari qui était ouvrier, soit 30 000 $. Aujourd’hui, même les taxes sont élevées pour des retraités comme nous qui souhaitent rester dans notre maison. »

— Claudine Schirardin

Le paysage commercial aussi a changé. Plusieurs petits commerces ont été remplacés par des boutiques et des restos à la mode. Et Latina, qui était le supermarché de quartier, est devenu une épicerie fine et plutôt coûteuse. « À l’époque j’y faisais mes courses, mais c’est devenu une épicerie de luxe, c’est trop cher pour moi. »

Il faut dire que l’arrivée d’Ubisoft, en 1997, a injecté beaucoup d’argent dans le secteur. Sans les 2000 jeunes employés du géant du jeu vidéo, bien des commerces de la rue Saint-Viateur et du boulevard Saint-Laurent ne seraient pas aussi prospères.

« Ça ne me dérange pas trop que le quartier soit victime de son succès, conclut Claudine Schirardin. À condition qu’on puisse continuer à y vivre et que notre communauté reste bien vivante. »

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