Hommage à Suzanne de Brunhoff

mardi 7 avril 2015, par Catherine Samary

Suzanne de Brunhoff vient de s’éteindre paisiblement, le 12 mars, après un long combat contre la maladie qui l’a mise à l’écart depuis quelques années des plus récentes controverses et recherches en économie. En retraite silencieuse après avoir été chargée de recherche au CNRS, elle laisse aux chercheurs en économie bien des apports sur les sujets les plus complexes et controversés. Elle n’a cessé de combiner son activité de chercheuse avec un militantisme contre les rapports d’exploitation et de domination. Membre du PCF, puis prenant ses distances avec l’encartement, elle s’impliqua activement dans le Réseau Curiel, solidaire des luttes pour l’indépendance de l’Algérie, puis dans des réseaux associatif. Elle fut, avec son époux et indéfectible soutien, Mathieu de Brunhoff, membre active du MRAP et du réseau Éducation sans frontières sur le XIIIe arrondissement de Paris. Elle fut aussi membre d’Attac et de son Conseil scientifique pendant plusieurs années, avant sa maladie.

Il faut rendre hommage à la continuité de son effort intellectuel de développer et actualiser une approche marxiste vivante des rapports de classes, camouflés derrière les institutions, les prix et les politiques économiques. Elle s’est notamment centrée sur des domaines de recherche où les rapports de classes sont absents ou simplifiés – la monnaie, le monde de la finance et l’État – et encore largement ouverts à des recherches marxistes où son apport demeure une référence.

Sa notoriété s’est construite à partir de son premier grand ouvrage La monnaie chez Marx (Éditions sociales, 1967, réédité en 1973 et 1975). Il demeure un appui essentiel pour comprendre l’originalité de la pensée de Marx par rapport à ses prédécesseurs, les classiques, comme Smith, Ricardo ou Say : alors que ces derniers distinguaient une sphère monétaire de l’économie dite réelle, sans monnaie, Marx analysait le capitalisme comme un système productif monétaire. Et si pour Jean-Baptiste Say la monnaie était un voile neutre, Marx en soulignait au contraire les différentes fonctions articulées (non seulement intermédiaire des échanges, mais aussi étalon de mesure et réserve de valeur) ; et il analysait en quoi la monnaie était une marchandise spécifique, utilisée avant le capitalisme, mais transformée en capital-argent et s’insérant dans les contradictions et les crises du capitalisme, avec toutes les dimensions spéculatives du capital financier et fictif.

Suzanne de Brunhoff aide donc à l’appropriation par les chercheurs contemporains de l’approche marxienne tout en menant un travail d’actualisation et de discussion des théories dominantes. Elle fut, ce faisant, toujours ouverte aux questionnements sur les transformations du capitalisme. Son travail sur la monnaie se poursuivit avec L’offre de monnaie (Maspéro, 1971), La Politique monétaire, un essai d’interprétation, en collaboration avec Paul Bruini (PUF, 1973, L’Heure du marché, Critique du libéralisme (PUF, 1986), puis avec plusieurs ouvrages sur État & Capital, dont le dernier, avec pour sous-titre Recherche sur la politique économique (FM/Fondations, La Découverte, 2010).

Elle publia dans Le Monde diplomatique, en 1974, un article « significatif » de sa problématique que l’on peut relire avec grand intérêt quelque vingt ans plus tard : « Lutte des classes et lutte contre l’inflation » [1].

En 2005, elle contribua à un Séminaire d’études marxistes avec Isaac Johsua, Gérard Duménil, Dominique Lévy, Michel Husson et François Chesnais, qui produisit un ouvrage collectif, La Finance capitaliste (PUF, Coll. Actuel Marx Confrontation, 2006).

La monnaie et la force de travail partagent le statut de « marchandises particulières » qui sont au croisement du social et du privé, sous contraintes de régulations publiques et sociétales, codifiées et évolutives. D’où un rôle spécifique de l’État et de ses politiques monétaires et économiques. Suzanne de Bruhoff s’est donc logiquement efforcée d’intégrer pleinement l’État dans l’analyse historique et théorique des contradictions fondamentales et récurrentes à l’œuvre dans le mode de production capitaliste, derrière l’opacité et l’évolution de ses formes. En 1977, Michel Aglietta analysait l’ouvrage qu’elle venait de produire à ce sujet, État et Capital, dans la Revue économique en soulignant : « Le dernier livre de Suzanne de Brunhoff s’apprécie d’autant mieux que l’on est averti de la continuité de sa démarche et de la ténacité de l’effort qui parcourt l’ensemble de son œuvre théorique. » Intégrer pleinement cet effort aux recherches toujours ouvertes sur ces sujets est le meilleur hommage à lui rendre.

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